Chili et carnets

Le Chili sous toutes les coutures

Grande évasion à la chilienne

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Une histoire étonnante et... vraie !

Il y a vingt ans, armés d’un culot et d’un courage monstre, quarante-neuf prisonniers politiques réussissaient à s’évader de la prison centrale de Santiago. Durant plus de 18 mois, ils ont travaillé sur un projet fou digne d’un scénario de film : creuser un tunnel pour s’enfuir sans arme ni violence. L’enjeu est énorme. Torturés, emprisonnés parfois sans avoir été jugés, ils risquent leurs vies au nom de leur combat politique et idéologique. Et même si, en 1990, la situation change au Chili – Pinochet a beau avoir perdu les élections, il reste commandant en chef des armées -, rien ne laisse présager encore la moindre clémence envers les prisonniers politiques.

Cette histoire vraie, peu connue au Chili, est racontée par Anne Proenza (journaliste à Courrier International et spécialiste de l’Amérique latine) et Teo Saavedra dans Les évadés de Santiago. Ce livre très documenté nous plonge donc aux côtés de ces prisonniers. Mais il suit également l’enquête d’un juge en charge de cet épineux dossier, véritable épine dans le pied pour les pinochetistes et caillou dans la chaussure pour la Concertation, l’union des partis de gauche et du centre. Cette étonnante histoire a donc passionné Teo Saavedra. Réfugié politique arrivé en France en 1977 après trois années de prison au Chili, il a rencontré l’un des protagonistes de cette histoire quelques années après l’évasion. Pour « Chili et carnets », il revient sur l’écriture de ce livre et sur la vie de ces évadés aujourd’hui. Il parle également de son pays d’hier et d’aujourd’hui. Entretien.

Anne Proenza et Theo Saavedra

Anne Proenza et Teo Saavedra ont travaillé pendant trois ans sur cette histoire passionnante (photo Ulf Andersen, avec l'aimable autorisation des éditions Seuil)


D’abord, parlons de vous : votre biographie stipule « réfugié politique »…

Teo Saavedra : « Oui, je suis arrivé en France en 1977. Je venais de passer trois ans en prison où j’ai connu la torture. »
Pour quelles raisons ?
« J’appartenais au Mir [Movimiento de izquierda revolucionaria, parti politique d’extrême gauche, NDLR]. J’avais 20 ans. D’autres co-détenus étaient vraiment très très jeunes. Je suis allé en prison à Santiago, à Valparaíso. Je suis même passé par la prison centrale à Santiago d’où se sont évadés les prisonniers du livre. »
Cette évasion justement… Quelle est la part d’invention ?
« Tout est vrai ! J’ai eu la chance de connaître Pancho à son arrivée en France. Nous sommes devenus amis et il m’a raconté l’histoire en détail. Il m’a aussi présenté à d’autres évadés. Petit à petit, des amitiés sont nées. Au delà de l’idéologie, ils étaient prêts à tout pour lutter contre la dictature. J’ai beaucoup de respect pour cet engagement. Le nom du juge a juste été modifié, très légèrement. Mais il existe, nous avons pu longuement le rencontrer. Il est désormais membre de la Cour Suprême, nommé par Michelle Bachelet. »
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez eu vent de cette histoire ?
« J’ai été impressionné ! C’est incroyable ce qu’ils ont fait. Quand j’étais en prison, j’ai connu une évasion mais celui qui s’est évadé a bénéficié d’une aide de l’intérieur. Là, ils ont réalisé une oeuvre d’art ! Et le fait de pouvoir s’unir sans se fâcher alors qu’à l’extérieur la situation est plutôt délicate, que les partis opposés à la dictature se divisent… C’était courageux. »
Cette histoire n’est pourtant pas très connue au Chili…
« Non, c’est vrai. Leur action s’est déroulée à une période particulière. Il y avait une campagne contre le Frente, ils n’ont pas reçu de vrais soutiens… Seuls les communistes ont fait des déclarations favorables après leur évasion. Mais il n’y a pas eu d’autres engagements. »
Pourquoi ?
« Ils sont alors devenus encombrants pour ceux qui ont repris le pouvoir. Mais ces évadés ont initié leur projet bien avant la transition démocratique. Puis il y a eu l’attentat raté contre Pinochet qui, selon moi, a joué un rôle déterminant. C’est un choc pour la société chilienne. A ce moment là, Pinochet ne quitte pas le pouvoir parce qu’il a violé les droits de l’Homme mais parce que le système est à bout de souffle. »
Mais, aujourd’hui, ils ne sont pas plus reconnus ni amnistiés…
« Pancho a passé six ans en prison. A part 120 euros qu’il touche chaque mois pour avoir été torturé, il n’a presque rien. Au Chili, on tente d’oublier cela. Pour les résistants, c’est une blessure marquante. Certains sont retournés là-bas. Pancho risque la prison s’il y retourne. L’amnistie ? Beaucoup de gens pensent que cela mettrait sur un pied d’égalité les bourreaux et les victimes/résistants. J’apprécie beaucoup ce qui a été fait durant le mandat de Michelle Bachelet. Mais les procès sont encore ouverts. »

Teo Saavedra : « Je suis un observateur et parfois, ce que je vois me touche aux tripes ! »

Comment expliquez-vous que le deuil de la dictature ne semble pas encore fait ?
« En janvier, le Chili a élu Piñera. Ce président s’est enrichi durant les années les plus noires du pays. Il y a quelques jours, un ambassadeur chilien a dû démissionner pour avoir défendu la dictature de Pinochet [Il s’agit de Miguel Otero, ambassadeur en Argentine, qui a provoqué un tollé en assurant que « la majeure partie du Chili n’a pas souffert de la dictature, au contraire… », NDLR]. Pour moi, c’est le signe évident de cette ambiguïté. Ça prouve que ce deuil n’est pas fait même s’il y a eu des avancées.
Je pense que le problème vient du fait que Pinochet n’a pas été jugé. On reste toujours avec l’idée que rien ne prouve qu’il a été ce qu’il a été… Il reste présumé innocent. Aujourd’hui encore, aucun ministre de l’Intérieur n’a été jugé non plus. La droite extrême regroupe les pinochetistes purs et durs… Cela représente 20 à 22% de l’électorat, et cela a contribué à l’élection de Piñera, il l’a reconnu lui-même. Mais voilà, le pays doit avancer, évoluer. Politiquement et idéologiquement. Et collectivement, nous avons tous une responsabilité. »
Vous pourriez vivre au Chili maintenant ?
« Non, plus maintenant. J’ai mis cinq ans à me remettre de mon départ. Désormais, j’ai 58 ans, je suis français, chevalier des Arts et des Lettres…. Tous mes projets sont ici. Je suis touché par ce qui se passe au Chili mais je suis un observateur et parfois ce que je vois me touche aux tripes. Cela ne veut pas dire que je nie mes influences. J’ai mes deux cultures et je les accepte intensément. Mais je ne pourrais plus vivre là-bas. »
Pour revenir au livre, comment Anne Proenza est arrivée sur ce projet ?
« Nous nous connaissons depuis une vingtaine d’années. Quand Pancho m’a parlé de cette histoire, j’en ai ensuite parlé à Anne. Elle a rédigé un papier pour Libération. C’est naturellement que nous avons travaillé à deux sur ce livre. Durant trois ans, nous avons voyagé pour rencontrer les protagonistes, nous documenter… Nous sommes très en phase : nous voulions vraiment rendre hommage à ceux qui ont participé à ce projet sans tomber dans l’apologie. Avec Anne, nous avons cette complicité là. »
Et qu’ont pensé les protagonistes de ce livre ?
« Pancho est très fier ! Il est évident que nous avons reconstitué des dialogues mais il était étonné de voir à quel point nous avions collé à cette histoire. Je n’ai pas encore de retour du Chili car il n’a pas été traduit. Pas encore. »
Quel accueil reçoit le livre ?
« Nous avons été très soutenus pour le lancement et les retours sont positifs. Il se peut même que cela devienne un film. Il y a déjà eu des demandes pour éventuellement acheter les droits des Evadés de Santiago ! »
Et quels sont vos projets ?
« Deux histoires que j’ai laissé traîner depuis des années. La première concerne la mort de Frei. Il y a tout dans cette histoire ! Elle montre qu’un dictateur est vraiment capable de tout. Nous allons l’écrire encore une fois à quatre mains avec Anne Proenza. La seconde histoire, je vais l’écrire seul : c’est la mienne. Comment je me suis retrouvé emprisonné à cause d’une femme qui, je pense, voulait me sauver… C’est déjà écrit en grande partie. »

Les évadés des Santiago, par Anne Proenza et Teo Saavedra (préface d’Olivier Duhamel), aux éditions du Seuil.

Movimiento de Izquierda RevolucionariaMovimiento

Written by Anthony Quindroit

13 juin 2010 à 22 h 48 min

2 Réponses

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  1. Ont-ils réussi à creuser ce tunnel finalement ?

    Mehdi Chebana

    26 octobre 2010 at 1 h 11 min


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